PROLOGUE : LE TESTAMENT
Maître François Barrucand, depuis son bureau ministre en acajou, rajusta ses lunettes et reprit la lecture des addendum au testament. Julie l’écoutait sans piper mot. Suite au tragique décès de son père, Louis de Montfort, elle avait pris la décision d’interrompre son reportage sur la bataille de l’Ouergha, au Maroc, et de revenir au pas de course à Beauregard, le chateau familial, perché à 80 mètres au dessus du lac. Elle avait aimé ce père, malgré cette relative distance qu’il entretenait avec elle, et ses excentricités.
Elle apprit que le Château du Lac, ce merveilleux domaine viticole qui l’avait vue grandir, lui revenait, certes, mais également qu’il croulait sous les dettes. Elle avait des souvenirs diffus de son enfance ensoleillée au milieu des vignes… Hélas, ces souvenirs étaient mis à mal par les nombreuses factures qui accompagnaient la succession. Elle héritait également du véhicule personnel de son père, une des premières De-Dion Bouton mises en service. C’était désormais un véhicule de collection, elle pourrait sans doute en tirer un peu d’argent. Mais le compte était très loin d’y être si elle souhaitait solder les dettes en cours…
En dernier lieu, la succession comprenait un… carnet de notes. Un petit journal relié de vieux cuir qui avait appartenu à son père, et qu’il lui avait toujours interdit de toucher quand elle était enfant. Elle prit le temps de le feuilleter, pendant que Maître Barrucand attendait patiemment comme seul un notaire en est capable.
Le carnet était couvert d’une écriture dense, de schémas, de notes, de croquis… Mais elle en perçut le propos général après plusieurs minutes de lecture. Ce livret parlait d’un homme, une figure légendaire des siècles passés, appelée l’Alchimiste. Le père de Julie semblait avoir passé des dizaines d’années à étudier cet homme et ses secrets. Il avait visiblement, au fil de ses lectures et de ses réflexions, exploré de nombreuses pistes, et élaboré un ensemble d’hypothèses qui permettraient de percer les secrets de ce mystérieux Alchimiste. Louis de Montfort semblait persuadé que l’Alchimiste avait finalement atteint son Graal, son idéal ésotérique. Un secret qui rendrait richissime qui saurait le découvrir.
Il n’était un secret pour personne que le père de Julie n’avait jamais quitté son Lac qu’il aimait tant. C’était un érudit, pas un aventurier. Autrement dit, il n’avait jamais vérifié ses hypothèses… Peut-être, après tout, était-ce là une opportunité unique de confirmer les recherches de son père, peut-être même de sauver le Château du Lac… Julie voulut malgré tout prendre le temps de la réflexion. Elle emporta le carnet et le déposa sur son chevet, dans sa chambre d’enfance à l’étage, au château. Puis elle prit une barque qui sommeillait sur la berge, non loin de là, et après avoir ramé sur quelques dizaines de mètres, s’autorisa un moment d’errance sur le lac.
Mais ses quelques années loin de ses racines lui avaient fait oublier ce vent d’ouest imprévisible et souvent traître, qui soufflait parfois avec violence sur les rives sud du lac. Elle fut rapidement mise en grande difficulté malgré sa maîtrise du canotage.
Non loin de là, un jeune homme qui répondait au nom d’Edward Hughes, ne perdit rien des mésaventures de Julie, depuis la rive opposée du lac. Il ne se trouvait pas là-bas par hasard : il avait été dépêché à Beauregard par l’Université d’Oxford, où il avait été récemment diplômé en Histoire, pour conduire des recherches sur d’anciennes tribus lacustres dont, disait-on, des vestiges de villages gisaient sous les eaux du lac, préservés du monde moderne. Un certain Louis de Montfort, aristocrate local et membre honoraire de la Société d’Histoire et d’Archéologie, lui avait donné l’autorisation d’y conduire des fouilles.
Il manœuvra en direction de la barque de l’inconnue le petit voilier qu’il avait loué pour ses fouilles quelques jours auparavant, conscient que ce maudit vent pouvait le faire chavirer à tout instant. Bien lui en prit : quelques instants plus tard, la barque de Julie fut renversée par une bourrasque, et elle sombra dans les eaux profondes, qui pouvaient atteindre près de 150 mètres par endroits. Il plongea sans hésiter pour lui porter assistance.
La nuit commençait à tomber. Edward était trempé et frigorifié lorsqu’il avait ramené cette belle inconnue à bord de son voilier. Il avait aussitôt mis le camp sur une petite plage non loin de là, où il connaissait une grotte qui pourrait leur tenir lieu de refuge. Il avait trouvé des couvertures dans la cale, et avait soigneusement enveloppé sa rescapée grelottante, le temps d’allumer un feu.
Une fois passés la sidération, les remerciements, les présentations, puis la stupeur d’apprendre qu’ils étaient tous deux liés à Louis de Montfort, les deux se livrèrent peu à peu au jeu des confidences. Julie, qui se sentait en confiance auprès de cet homme sûr de lui et rassurant, se laissa aller à parler de l’héritage de son père et de ce mystérieux carnet de notes. Les secrets de cet Alchimiste pourraient lui permettre de faire fortune, et peut-être de sauver le domaine familial…
De son côté, Edward n’avait guère été pourvu en devises par l’université d’Oxford, et avait investi ses derniers deniers dans son voilier. L’obscurité fut ce soir-là témoin du pacte improbable qu’ils scellèrent tous deux. Ils allaient s’associer, et se mettre en quête du trésor de l’Alchimiste. Ils partageraient l’argent, et pourraient tous deux réaliser leurs rêves ! Ils se serrèrent la main en guise d’accord, et tous deux goûtèrent ce contact juste un peu trop longtemps…
Au même moment, dans l’office notarié de Maître Barrucand :
– Or donc, vous me certifiez, Maître, que cette copie que vous me fournissez est en tous points identique au carnet de notes que Louis de Beaufort a tantôt légué à sa fille ?
– en tout points, monsieur Chatillon. J’y ai personnellement veillé.
– Très bien. Merci, Maître. Je veillerai à ce que vous receviez une récompense à la hauteur de votre loyauté envers moi…”
Le journal de Louis de Montfort vous aidera peut-être à résoudre les énigmes de l’Alchimiste…